(Mise à jour 16/04/2024)
Voici 9 points pour gérer une question d’e-réputation sur internet.
N'hésitez pas à me contacter par email si vous avez des questions : reynaud.avocat@gmail.com
1/ Vérifier si les contenus sont illégaux et identifier la bonne base légale de l'action :
De multiples lois peuvent être appliquées à la diffusion d'un contenu, ce qui peut constituer un conflit de lois et de qualifications.
Le contenu préjudiciable peut être soit :
- diffamatoire ou injurieux à l'égard d'une personne physique ou morale,
- dénigrant un produit ou un service d'un commerçant ou d'une société,
- de la concurrence déloyale de la part d'un concurrent,
- porter atteinte à la vie privée ou à l'image d'une personne physique ou plus généralement à un droit civil (propriété, etc.),
- constituer une atteinte à la législation sur les données personnelles d'une personne physique.
Chacune de ces catégories renvoie à des règles de droit bien spécifiques. Le choix d'une qualification est stratégique.
Attention à ne pas se tromper de qualification en cas de poursuite judiciaire.
a. Premier conflit : Dénigrement ou diffamation ?
En principe, la critique d'un produit ou d'un service relève du dénigrement (Trib. com., référé, 5 mars 2020 au sujet d' un article approximatif sur un blog) et non de la diffamation ou de l'injure (Loi 1881 sur la presse).
Cependant, la distinction entre la critique d'un produit ou d'un service (dénigrement) et la critique d'une personne physique ou morale (diffamation) peut être subtile comme le montre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 janvier 2020.
L'appréciation générale de la qualité des services relève du dénigrement (responsabilité civile art. 1240 C.civ.) et non de la diffamation (loi sur la presse) même si le nom de la personne est diffusé : TGI de Marseille, 11A ch. coll., jugement correctionnel du 29 novembre 2016 ; Tribunal de commerce de Paris, 15ème ch., jugement du 16 décembre 2019; CA PARIS, 6 janvier 2021 Tripadvisor / Viaticum, TJ Chambéry, 15 septembre 2022, n°19/01427 )
Concernant le dénigrement, pour que la critique d'un produit ou d'un service soit légale, il faut respecter 3 conditions :
- 1/ l'information en cause doit se rapporter à un sujet d'intérêt général (santé, sécurité, politique...),
- 2/ l'information doit reposer sur une base factuelle suffisante,
- 3/ l'information doit être exprimée avec une certaine mesure.
Voici, par exemple, une liste de propos jugés non dénigrants et relevant de la liberté d'expression à savoir « Ils savent que marketingnement parlant ça serait moins terrible », « petits malins », « on essaye de se flatter un maximum », « ça fait monter la performance », « pour flatter le rendement ». Cass., com., 28 juin 2023, 22-13.442,
ou encore dans une autre affaire (CA, Paris, 7 septembre 2023) les termes : "“arnaque” “des gangsters” ; “tout est bon pour soutirer du pognon” ; “pratiques frauduleuses”, “profiter des gens en leur faisant peur”, une “méthode déloyale”, des “arnaqueurs”, des “imposteurs” ; etc.
Au contraire, des propos dénigrants dont la base factuelle est discutable permettent d'agir en référé ou sur le fond pour les supprimer (Cass., civ, 4 mars 2020, 18-15651; voir aussi les affaires YUKA, T.C. Aix-en-Provence, jugement du 13 septembre 2021; T.C. Paris jugement du 25 mai 2021).
Si le droit de critique existe légitimement pour les services d'un restaurant, il ne peut dégénérer en pure intention de nuire (CA Dijon, 20 mars 2018, n° 15/02004, SARL Loiseau des Ducs) : En effet, à la date de ses commentaires négatifs, l'internaute n'avait pas pu bénéficier des prestations de ce restaurant qui n'était pas encore ouvert. La Cour conclut que « ces commentaires, peu flatteurs pour un établissement portant le nom prestigieux de Loiseau, étaient destinés à dissuader la clientèle potentielle de le fréquenter, et ils constituent un dénigrement manifeste de nature à engager la responsabilité délictuelle de leur auteur ». (condamnation de l'internaute à 4 000 € au total).
Le dénigrement des produits par un concurrent, même de manière clandestine sous couvert d'un faux avis de consommateur, relève de la concurrence déloyale.
À l’inverse, la diffamation relève du régime de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Elle est caractérisée en cas d’imputation ou d’allégation de faits portant atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne ou d’une société (pour une application récente concernant une page Facebook : Tribunal correctionnel de Fontainebleau, jugement du 6 décembre 2021). La diffamation peut être publique ou privée. Contrairement au dénigrement, il est possible de se défendre en invoquant la bonne foi ou l’exception de vérité, c’est-à-dire lorsque les faits rapportés sont vérifiés et établis.
b. Deuxième conflit : droit civil ou loi sur la presse ?
Pour le demandeur, la procédure est bien plus simple si l'on agit sur le fondement du droit civil commun (droit de propriété, droit de la personnalité, etc.) que sur le droit de la presse (Loi 1881) . Ce conflit de qualifications a des conséquences directes sur l'issue du procès.
Récemment, la Cour de cassation a redonné une certaine place aux droits de la personnalité face à la loi sur la presse:
- par exemple pour un texte accompagnant la photographie publiée par erreur qui imputait des agissements criminels exclusivement à la sœur de la personne représentée, ou pour une révélation, au cours d'une l'émission de télévision, d'informations relatives à une affaire qui avait été jugée à huis clos. (Civ. 1re, 25 mars 2020, n° 18-26.060; Civ. 1re, 9 sept. 2020, n° 19-16.415)
- Par exemple, un débat d'intérêt général ne doit pas servir de prétexte à diffuser des informations relevant de la vie privée, en l'espèce la vie amoureuse et sentimentale de deux ministres (Cass. civ. 11 mars 2020, 19-13716).
- Par exemple pour la révélation du nom du responsable d'un accident de voiture dans un article de presse (Cass. civ., 20 octobre 2021, 20-14.354).
La notion de sujet d'intérêt général est aussi une exception relative aux droits de la personnalité. Elle doit être envisagée précisément. Ainsi dans un article de presse relatif à un accident de voiture, la mission du journal d'informer ses lecteurs avec exactitude et précision sur les faits divers d'actualité ne justifie pas la divulgation d'informations permettant l'identification de son auteur dans la mesure où ces éléments ne présentent aucun intérêt au regard de l'information du public sur les circonstances de l'accident (Cass. civ., 20 octobre 2021, 20-14.354).
Mais la frontière entre les deux textes n'est pas toujours aisée à tracer : pour une atteinte relevant de la diffamation et non du droit à l'image (CA Versailles, 26 octobre 2017, n° 17/00437 Dalloz IP/IT 2018 p.253).
La Cour de cassation a aussi validé une décision privilégiant la violation du droit de propriété du demandeur plutôt que l'atteinte à sa réputation résultant du message diffusé (Cass. civ. 1ère, 8 févr. 2023, nº 22-10.542).
c. Troisième conflit : Loi informatique et libertés ou loi sur la presse?
Il est aussi possible d'utiliser la législation sur les données personnelles afin de demander la suppression de certaines informations. Mais il convient de solidement justifier sa demande, car le droit des données personnelles est souvent paralysé dans ces hypothèses.
2/ Faire une demande de suppression à l'auteur du contenu :
Souvent le site visé par la demande de suppression n’oppose que peu de résistance.
Mais il convient d’apprécier le risque d’effet pervers d’une demande de suppression de contenu.
Il faut éviter de déclencher une riposte négative sur ledit site avec de nouveaux contenus négatifs et un "bad buzz" préjudiciable.
3/ Exercer son droit de réponse sur internet :
Est-il opportun de répondre directement sur le site sur lesquels les propos litigieux paraissent, notamment au travers d’un droit de réponse publié sur le site ? Il existe en effet un véritable droit de réponse sur internet avec un régime spécifique.
Mieux vaut dans certaines hypothèses, par exemple vis-à-vis d'un client mécontent, rentrer en contact directement avec l'auteur du contenu négatif par email pour tenter de désamorcer la situation.
À l'inverse une discussion publique sur le sujet risque de relancer un débat défavorable.
4/ Exercer son droit au déréférencement sur les moteurs de recherche
Le principal préjudice est souvent le référencement sur Google du contenu litigieux.
La CNIL a mis en place des pages pédagogiques sur le droit au déréférencement.
Pour la demande de déréférencement à Google ou à d'autres moteurs de recherche, il convient de distinguer les cas des personnes physiques des personnes morales. En cas de refus du moteur de recherche, il conviendra de saisir les tribunaux (TJ, (ord. réf.), 2 septembre 2021, M. J-M. X. c/ Société Google).
13 Arrêts du Conseil d’État du 6 décembre 2019 permettent de mieux comprendre les chances de succès d'une démarche soit envers Google soit envers la CNIL (voir le communiqué du Conseil d’État) et notre tableau d'analyse de ces décisions.
5/ Travailler le référencement naturel et payant sur les moteurs de recherche
Travailler le référencement naturel et payant de son propre site est un préalable nécessaire. Il s’agit d’éviter que le référencement du contenu négatif apparaisse en bonne position dans les moteurs de recherche.
Il est nécessaire de multiplier les contenus positifs de qualité en relation avec le produit ou le service critiqué par ailleurs.
6/ Demander la suppression du contenu litigieux et engager la responsabilité de l'hébergeur des contenus
Faut-il envisager une véritable notification du contenu illégal à l'hébergeur du site afin de rendre l’hébergeur responsable du contenu si ce dernier laisse subsister le contenu illicite en ligne ? Si l'on envisage de mettre en jeu la responsabilité de l'hébergeur, il conviendra de respecter les exigences de l'article 16 du RÈGLEMENT SUR LES SERVICES NUMÉRIQUES (RSN) , sous peine de voir son action en responsabilité rejetée. L'hébergeur sera principalement responsable pénalement et civilement en cas de retard dans la suppression du contenu litigieux (art. 6 RSN). (pour aller plus loin sur la responsabilité des hébergeurs après la modification de la LCEN)
La question juridique ici est de savoir quel est le régime juridique du support de communication utilisé : est-ce un hébergeur ? Est-ce un éditeur ? Est-ce un forum de discussion ? Un comparateur de produits et services ? Ici aussi chaque catégorie d’acteur doit entrer dans les catégories préétablies hébergeur / éditeur, avec des obligations spécifiques selon leurs activités et leurs tailles.
Les plateformes de publication d'avis revendiquent souvent la qualification "d'hébergeur" pour limiter leurs responsabilités. Toutefois, le Code de la consommation prévoit maintenant des obligations spécifiques pour les plateformes relatives à la diffusion des avis (L111-7-2, D111-16 et D111-17 C. Cons.) Le Tribunal de Commerce de Paris a récemment appliqué ces dispositions et insisté sur l’obligation de contrôle de la véracité des avis publiés à l’égard des plateformes (Trib. Com. Paris 22 déc. 2021). Il s'agit d'une solution à utiliser si la jurisprudence se confirme (voir L Feldman, le Code de la consommation au secours de l'e-réputation des professionnels ).
7/ L'identification technique et juridique des responsables
Avant d’envisager des démarches juridiques, il faut identifier officiellement le site ou l'auteur du message puis qualifier juridiquement les différentes parties. C’est le " représentant légal " qui assume la responsabilité de directeur de la publication et non le webmaster du site. (Cass. 1e civ. 18-10-2017 n° 16-19.282).
Cette identification peut s’avérer relativement simple en s’appuyant sur ses mentions légales du site ou l'absence d'anonymat de l'auteur des propos. Mais cela peut aussi être bien plus complexe si le contenu est diffusé de manière anonyme.
Dans ce dernier cas, les investigations pourront être plus longues, par exemple au travers du titulaire du nom de domaine ou surtout de l'adresse IP en sollicitant un tiers, par exemple l'hébergeur du contenu.
1/ Dans sa nouvelle rédaction, la LCEN prévoit le recours à la procédure accélérée au fond dans le cadre de son article 6-I 8° modifié. Cette nouvelle procédure n'exclut pas nécessairement le référé sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile (TJ, ord. réf., 1er février 2023, n° 22/58843 Légipresse 2023 p.79). Avant cette modification, certaines juridictions semblaient privilégier la procédure en référé plutôt que celle sur requête pour obtenir l'identification de l'auteur d'un contenu préjudiciable ( C. LEGRIS - DUPEUX, La surprise comme condition nécessaire à l’octroi d’une ordonnance 145 en matière d’identification sur internet, l’impossible casse-tête des victimes de contenus préjudiciables sur internet, RDLI Numéro 175 I novembre 2020, p.23). Ainsi, la Cour d'appel de PARIS dans un arrêt du 10 février 2021 n° 20/02832, a validé l'ordonnance de référé visant TWITTER et la communication à sa charge de nombreuses données associées au compte permettant l'identification de l'auteur de l'infraction, notamment l'email, le numéro de téléphone , l'adresse URL, l'adresse IP, les dates et l’heure précise de création de ce compte .
2/ Depuis 2021, une nouvelle difficulté majeure quant à l'identification d'un responsable anonyme de contenus litigieux se pose dans le cadre d'une action devant les juridictions civiles et commerciales, suite à la modification de l'article L 34-1 CPCE , du Décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d'identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne et de la nouvelle rédaction de l'article 6 II LCEN. Les juridictions civiles paraissent exclues d'une telle possibilité d'ordonner l'identification des responsables anonymes, ce qui ne manque pas d'inquiéter (pour aller plus loin, D. Lefranc. L'identification des créateurs de contenus sur internet par le juge civil après la loi du 30 juillet 2021, C.C.E. n° 9, septembre 2022, ét. 15). Lorsque l'objectif final est une procédure pénale, même dans le cadre d'une procédure civile de référé préparatoire, il semble ici qu'il faille distinguer entre les données d'identification civile (nom, prénom, adresse postale ...) et les données de connexion. Seules les premières pourraient être demandées dans le cadre précis de l'article L 34-1 CPCE (TJ, ord. réf., 1er février 2023, n° 22/58843 Légipresse 2023 p.102). Reste le cas épineux d'une demande de levée d'anonymat dans un cadre purement civil ou commercial ( voir à ce sujet : La problématique de l'identification des internautes en matière de e-réputation des professionnels, par L. Feldman).
3/ Vient ensuite la qualification juridique des parties.
Concernant spécialement le droit de la presse (injure & diffamation), l'article 93-3 de la Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle applicable à l’internet distingue le directeur de la publication qui sera poursuivie en tant qu’auteur principal de l’infraction pénale (1°) et envisage deux autres intervenants, l'auteur du contenu préjudiciable (2°) et le producteur du site web (3°), tous deux considérés comme complices. Il s'agit de la responsabilité en cascade bien connue des spécialistes du droit de la presse qui conviendra d'adapter à internet.
En l’absence de fixation préalable à la diffusion des contenus litigieux, l’auteur des contenus litigieux peut être poursuivi comme auteur principal de l’infraction, puis le producteur à défaut d’identification de l'auteur du propos ou de l'écrit.
Lorsque le contenu est posté sur un forum, le directeur de la publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message.
8/ L'utilité d'une action judiciaire ?
La question de l'utilité d'un procès doit être envisagée, surtout quant aux délais et de la complexité pour obtenir une décision de justice définitive. Un préjudice d’image au détriment d'un commerçant peut être très rapidement réalisé sur internet alors que la décision du tribunal arrivera longtemps après, surtout dans le cadre d'une procédure classique "au fond". Lorsque la décision sera rendue, celle-ci ne sera plus d’une grande utilité.
Doit-on envisager des suites judiciaires à donner en cas de non-retrait des contenus litigieux ? Faut-il choisir le référé et/ou une procédure au fond ?
La situation peut justifier d'une procédure en référé pour faire cesser un trouble manifestement illicite (art. 873, al. 1, Code de procédure civile). Mais le demandeur se heurtait ici à l'aléa tenant aux cas d'ouvertures d'une telle procédure (Cass., civ, 4 mars 2020, 18-15651).
Une nouvelle procédure accélérée au fond tend à répondre à cette difficulté du référé. Prévue à l’article 6-3 de la LCEN, la procédure accélérée au fond permet de solliciter contre toute personne susceptible d’y contribuer, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication en ligne. ( voir LE NOUVEL ARTICLE 6.I.8 DE LA LCEN, POUR UN RETRAIT PLUS DYNAMIQUE DES CONTENUS EN LIGNE par Pierre de Roquefeuil, Avocat)
A noter que le choix du référé basé sur une action en cessation prévue par l'article 6-3 LCEN ne permettait pas de contourner la difficulté du droit de la presse sur le plan procédural. Les juridictions ont tendance à appliquer les règles procédurales de la loi de 1881 même dans le cadre de la LCEN, si l'on se trouve dans un cas de diffamation sur le fond. (Cass. 1re civ., 19 juin 2008, n° 07-15.430; CA Paris, pôle 1, ch. 8, 22 mars 2019, n° 18/17204). Toutefois, l'action sur le fondement de l'article 6-3 LCEN est possible, en mettant en l'écart le droit de la presse, lorsque celle-ci vise des personnes différentes et poursuit des finalités distinctes de celles du délit de diffamation (TJ Paris, 8 juillet 2022, n° 22-53972 M. K. c/ Sté Meta Platforms Ireland Ltd et a. Légipresse 2022 p.401).
9/ La preuve des contenus litigieux
Avant toute démarche vis-à-vis du site litigieux, est-il nécessaire de constituer des preuves des contenus ?
Une simple copie écran d'un contenu sera sans grande utilité à titre de preuve en cas de procès.
Si la démarche contient un volet indemnitaire important, on conseillera de procéder à un constat d’huissier préalable afin de sauvegarder des preuves du contenu.
Si le but de la démarche est simplement la suppression du contenu, le constat d'huissier ne sera pas forcément utile.
Pascal Reynaud
Avocat au barreau de Strasbourg
reynaud.avocat@gmail.com
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