34. Vers un nouveau régime pour les jeux à objets numériques monétisables ou JONUM

Face à l’essor de nouveaux jeux en ligne basé sur les jetons non fongibles (Non Fungible Token ou NFT), le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique définit une nouvelle catégorie de « jeux à objets numériques monétisables » (JONUM), dont il va autoriser l’exploitation par exception à la prohibition des jeux d'argent .

 

Il s’agit principalement de jeux dans lesquels est proposé l’achat d’objets numériques de jeu (sous forme de carte par exemple), nécessaires pour participer au jeu ou pour avancer plus rapidement dans le jeu. Si le joueur gagne, il peut se voir offrir comme gain ou récompense de nouveaux objets de jeu. Il est possible de les revendre à des tiers soit sur la plateforme de l’éditeur du jeu soit sur une place de marché secondaire.

 

Or, ces jeux, puisqu’ils nécessitent un sacrifice financier et permettent éventuellement un gain financier, tombent sous le coup de la prohibition des jeux d'argent et de hasard. La législation actuelle n’est pas jugée adaptée, car ces nouveaux jeux empruntent des caractéristiques à la fois aux jeux de loisirs (gaming) et aux jeux d’argent (gambling).

 

Ainsi le nouveau texte prévoit que ces jeux ne seront plus considérés comme des jeux d’argent et de hasard au sens de l’article 320-1 CSI mais soumis à un nouveau cadre spécifique ou dérogatoire. 

 

Le nouveau régime qu’esquisse ce projet renvoie pour l’essentiel à une ordonnance à venir. Il sera défini par voie réglementaire les jeux autorisés et les modalités d’encadrement et de contrôle des entreprises qui commercialisent les JONUM ainsi que les modalités de la régulation. Il est donc encore trop tôt pour en tirer des informations opérationnelles. 

 

Toutefois, on peut identifier certaines lignes directrices, notamment leurs interdictions aux mineurs. Il sera donc nécessaire de mettre en place une procédure d’inscription et de vérification de la majorité similaire à celle déjà en place pour les jeux agréés par l’ANJ (poker, paris sportifs et hippiques en ligne).   

 

Il faut probablement s’attendre à une procédure allégée par rapport à celle existant pour ces jeux d’argent en ligne.

 

Le « bon » équilibre entre d’une part le développement de ce nouveau marché, ce qui nécessite une certaine flexibilité et, d'autre part, la protection de l’ordre public (protection des mineurs, addiction, fraude, blanchiment, financement du terrorisme, etc..) ne sera pas aisé à trouver. On peut douter de la mise en place d’une procédure simple et déclarative au regard de ces enjeux.   

 

Il reste aussi à trouver une définition claire de ces nouveaux jeux d’un point de vue légal. Car qui dit « cadre allégé » par rapport au droit commun des jeux d’argent va immanquablement susciter des tentatives de contournement de la part des opérateurs de jeux d’argent et de placements financiers. Par exemple, la notion d’« objet numérique monétisable » devra être définie par rapport à celle d’ « actif numérique », au sens de l’article L. 54-10-1 du code monétaire et financier.

 

L’articulation entre JONUM et les jeux vidéo classiques ne sera pas aisée non plus.  Historiquement le milieu du gaming qui vise aussi les mineurs s’est tenu éloigné du gambling qui lui est, en principe, réservé aux majeurs. On assiste ici à la fusion des deux mondes. Ce qui nécessite de clairement définir ce qu’est un jeu vidéo par rapport aux JONUM. 

 

Enfin la question de la fiscalité de ces nouveaux jeux suscite le débat. Les jeux d'argent légaux étant particulièrement taxés, les acteurs historiques voient d'un mauvais œil une fiscalité plus légère pour les JONUM.

 

Du fait de ces différentes difficultés, les acteurs historiques ont pour la plupart assez mal accueilli le projet de loi. (voir le Figaro, 26/06/2023 "Jeux d’argent: levée de boucliers contre la loi Sorare" par M. Visseyrias & I. Vergara)

 

Concernant l’habilitation donnée au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures prévues, un délai d’habilitation de quatre mois est jugé nécessaire. Au regard des enjeux d’ordre public, du nombre de dispositions pour encadrer ce nouveau marché, de leur technicité et de leur nouveauté, ce délai permet de consulter l’ensemble des administrations et autorités de régulation potentiellement concernées (CNIL, Tracfin, ARCOM, AMF, ACPR, ADLC, MILDECA, etc.) et poser le cadre adapté aux spécificités de ces nouveaux jeux et aux risques associés.

 

Actualisation 30/06/2023 

 

Le projet de loi a été profondément amendé par le Sénat fin juin qui a supprimé le renvoi à une ordonnance pour viser une expérimentation de trois ans durant laquelle les JONUM seront autorisés. La liste des catégories de jeux autorisées à titre expérimental serait fixée par décret. 

 

L'amendement propose une définition des JONUM (art.15) :

 

I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, sont autorisés les jeux proposés par l’intermédiaire d’un service de communication au public en ligne qui permettent l’obtention, reposant sur un mécanisme faisant appel au hasard, par les joueurs ayant consenti un sacrifice financier, d’objets numériques monétisables, à l’exclusion de l’obtention de tout gain monétaire, sous réserve que ces objets ne puissent pas être cédés, directement ou indirectement par l’intermédiaire de toute personne physique ou morale, à titre onéreux à toute entreprise de jeux.

 

Constituent des objets numériques monétisables au sens de l’alinéa précédent, à l’exclusion des actifs numériques relevant du 2° du L. 54-10-1 du code monétaire et financier, les éléments de jeu qui confèrent aux seuls joueurs un ou plusieurs droits associés au jeu, et qui sont susceptibles d’être cédés, directement ou indirectement, à titre onéreux à des tiers.

 

Cette définition laisse dubitatif, car elle semble interdire la  possibilité de revendre les objets numériques monétisables à des entreprises de jeux (catégorie nouvelle qu'il faudra définir, NDLR), mais permet la revente de ces objets à des tiers. Il réintroduit la notion de hasard qui avait posé tellement de problèmes concernant les "skill games" alors que les jeux de "fantasy ligue" ne reposent pas essentiellement sur le hasard. Faut-il s'attendre à de nouvelles discussions byzantines sur la notion de hasard ? Elle exclut les récompenses monétaires, mais admet probablement les récompenses en nature. Le droit des jeux d'argent traditionnellement ne fait pas une telle distinction entre gain monétaire ou gain en nature dès lors qu'il a une valeur financière. 

 

Cet amendement ne fait pas le lien avec les dispositions relatives au droit des jeux d'argent du Code de la sécurité intérieure (art. 320-1 et suivant CSI), alors que la codification réalisée par le CSI avait apporté une certaine clarification par rapport au mille-feuille législatif antérieur sur le sujet. Les dispositions relatives à l'ordre public (blanchiment, etc.) et à la protection des joueurs ressemblent à une simple clause de style… Reste aussi la question fiscale pour laquelle il n'y a pas de précision. Au minimum, cet amendement appelle plus de précisions.

 

Mais surtout, la possibilité de légiférer par ordonnance permet dans un délai relativement court de créer un cadre légal et fiscal complet. Certaines questions à traiter relèvent de la loi et non d'un règlement. Il n'est pas certain que la solution du Sénat soit aussi efficace. Attendons les débats sur cette question début juillet pour plus de clarté. 

 

Pour prendre connaissance du rapport du Sénat : Projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique - Sénat (senat.fr) 

 

 

Pascal Reynaud

Avocat au barreau de Strasbourg 

 

Image by Pete Linforth from Pixabay 

 

Pour aller plus loin, consultez le dossier législatif :

 

https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000047533100/?detailType=CONTENU&detailId=1