Une nouvelle procédure de blocage administratif des sites de jeux illégaux remplace l'ancienne procédure judiciaire du fait de l'adoption définitive par l'Assemblée nationale de loi visant à "démocratiser le sport".
Le blocage administratif désigne l'arrêt de l'accès à des sites illicites sur demande de l’autorité administrative (ici l’ANJ) sans passer par un tribunal.
Le jeu illégal est loin d’être anecdotique et il est en pleine croissance : le nombre de personnes qui jouent en France sur les sites illégaux est actuellement estimé entre 1,4 et 2,2 millions de personnes contre 500 000 en 2016.
Jusqu’à présent les demandes de blocages reposaient sur une procédure de blocage judiciaire des sites illégaux par les fournisseurs d’accès à internet (Article 61 de la loi du 12 mai 2010). Cette procédure judiciaire est cependant jugée à la fois trop lente (4 à 6 mois), inadaptée à la forte volatilité de l’offre illégale, et trop coûteuse (450 000 euros, soit près de 10% du budget annuel de l’ANJ).
Dans le cadre de cette nouvelle procédure administrative, l’ANJ dressera la « liste noire » des sites dont les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et les moteurs seront tenus de bloquer l’accès ou de déréférencer dans un court délai.
L’ANJ pourra être saisie par le ministère public ou toute personne qui y a intérêt. Cette possibilité est nouvelle. Pour l’instant, à notre connaissance, l’ANJ se chargeait, par l’intermédiaire de son médiateur, des litiges et des plaintes entre les opérateurs légaux et les consommateurs.
Voici la nouvelle procédure en 3 étapes :
· Étape 1 : l’ANJ met en demeure l’opérateur illégal, son hébergeur (par exemple des plateformes de téléchargement d’applications), toute personne effectuant de la publicité pour ces sites (réseaux sociaux, influenceurs…), d’empêcher l’accès au site illégal en France. Ces derniers ont 5 jours pour faire valoir leurs observations.
· Étape 2 : à défaut d’exécution des mises en demeure, l’ANJ ordonne aux FAI d’empêcher l’accès aux sites en cause et aux moteurs de recherche de référencer ces contenus illégaux.
Dans la plupart des cas, les FAI et les moteurs risquent d’exécuter spontanément cette demande de blocage ou de déréférencement. Mais ce ne sera pas toujours le cas.
· Étape 3 : Dans le cas contraire, les FAI et moteurs de recherche seront soumis aux peines prévues au 1 du VI de l'article 6 de la LCEN (lourdes amendes, peine de prison pour les personnes physiques…).
Les FAI et les moteurs pourront toutefois contester directement la demande de blocage de l’ANJ devant le juge administratif. On imagine aussi que ce sera le cas pour les opérateurs de jeux, pour les personnes en charge de la publicité, pour les hébergeurs qui pourront contester les mises en demeure.
Selon le gouvernement, ce blocage administratif est justifié par les atteintes à l’ordre public, à l’ordre social (addiction, blanchiment, escroquerie …) mais également à l’économie du sport et à l’intégrité des pratiques sportives (risques de manipulations sportives, manque à gagner relatif au droit au pari). Les contrats de droit au pari assis sur les paris légaux ont permis aux organisateurs de compétitions de recevoir près de 13 millions d’euros en 2019 et 10 millions d’euros en 2020. Les sites illégaux eux ne reversent rien à l’État, bien sûr.
Toujours selon le gouvernement, ce blocage administratif relève de l’exercice de la police administrative. Ce type de mesure a déjà été justifiée par l'objectif de sauvegarde de l'ordre public par le Conseil constitutionnel, notamment en matière de pédopornographie et de terrorisme.
Par ailleurs, ce blocage administratif ne porterait pas atteinte à la liberté d’expression et de communication. En effet, le gouvernement estime que sont illégales toutes les offres de jeux qui sont proposées par des personnes qui ne disposent pas d’une autorisation administrative (FDJ, PMU, opérateurs agréés ANJ..).
Or cette affirmation est critiquable.
Il existe des exceptions à la prohibition générale des jeux d’argent qui sont clairement prévus à l’article 320-6 CSI ou par l'article L 321-11 CSI et qui ne relèvent pas d’autorisations administratives préalables.
Pour mémoire il s’agit surtout :
- 1. Des loteries publicitaires prévues par le Code de la consommation,
- 2. Des compétitions de jeux vidéo (eSport) sur internet dans certaines hypothèses (R 321-50 CSI),
- 3. Des lotos traditionnels.
- 4. Des jeux et concours organisés par les publications de presse (TV, presse, radio).
Le juge administratif aura donc éventuellement à connaître de la légalité de ces catégories de jeux d’argent qui ne sont pas soumis à autorisation préalable de la part de l’administration. On constate ainsi que l'autorité administrative a un droit de regard sur une infraction pénale dont la caractérisation est pourtant de la compétence du juge judiciaire.
On mettra en parallèle ce blocage administratif avec les décisions du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 4 février 2019 qui ont annulé les décisions de l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication. Cette administration avait ordonné le retrait de publications accessibles par quatre adresses URL ainsi que le déréférencement du contenu de deux d'entre elles. Le tribunal a pourtant estimé que le contenu de ces publications ne constituait pas une provocation directe ou faisait l'apologie d'actes de terrorisme, au sens des dispositions de l'article 421-2-5 du Code pénal. (TA Cergy-Pontoise, 4 févr. 2019, n° 1801344, n° 1801346, n° 1801348 et n° 1801352 ; https://www.cnil.fr/fr/controle-du-blocage-administratif-des-sites-premiere-decision-rendue-sur-saisine-de-la-personnalite).
Par le passé, ce type de mesure de blocage administratif a été critiqué pour son risque d'atteinte à la liberté d'expression en l'absence du juge judiciaire. Le Conseil national du numérique (CNN) par exemple a préconisé de ne jamais déroger au principe du recours à une autorité judiciaire préalablement à l'instauration d'un dispositif de surveillance, de filtrage ou de blocage de contenus sur internet.
Le projet d'article ne mentionne plus à ce stade la compensation financière des mesures de blocage par les FAI.
Pascal Reynaud
Avocat au barreau de Strasbourg
reynaud.avocat@gmail.com
LOI n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne
Article 61 actuel
|
Amendement[1] : |
Alinéa 1
Mise en demeure opérateur illégal
|
|
Le président de l'Autorité nationale des jeux adresse aux opérateurs de jeux ou de paris en ligne non autorisés en vertu d'un droit exclusif ou de l'agrément prévu à l'article 21 et à toute personne proposant une quelconque offre de jeux d'argent et de hasard en ligne en contravention aux dispositions du titre II du livre III du code de la sécurité intérieure, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure rappelant les dispositions de l'article 56 relatives aux sanctions encourues et les dispositions du troisième alinéa du présent article, enjoignant à ces opérateurs de respecter cette interdiction et les invitant à présenter leurs observations dans un délai de huit jours.
|
Le président de l’Autorité nationale des jeux adresse à la personne dont l’offre de jeux d’argent et de hasard en ligne est accessible sur le territoire français et qui ne peut se prévaloir de l’une des dérogations mentionnées à l’article L. 320‑6 du code de la sécurité intérieure une mise en demeure de cesser cette activité.
Cette mise en demeure, qui peut être notifiée par tout moyen propre à en établir la date de réception, rappelle les dispositions de l’article 56 de la présente loi et invite son destinataire à présenter ses observations dans un délai de cinq jours. |
|
Nouvel alinéa 2
Mise en demeure publicité
|
Le président de l’Autorité nationale des jeux adresse à la personne qui fait de la publicité en faveur d’un site de jeux d’argent et de hasard non autorisé ou qui diffuse au public les cotes et rapports proposés par un tel site une mise en demeure de cesser cette activité.
Cette mise en demeure, qui peut être notifiée par tout moyen propre à en établir la date de réception, rappelle les dispositions du premier ou du deuxième alinéa de l’article 57 applicables en l’espèce et enjoint son destinataire à cesser cette promotion et l’invite à présenter ses observations dans un délai de cinq jours.
|
|
Ancien alinéa 2
|
Nouvel alinéa 3
Mise en demeure hébergeur
|
Il adresse également aux personnes mentionnées au 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une copie de la mise en demeure prévue au premier alinéa du présent article et leur enjoint de prendre toute mesure propre à empêcher l'accès au contenu du service de communication au public en ligne proposé par l'opérateur mentionné au même premier alinéa.
Ces personnes sont invitées à présenter leurs observations dans un délai de huit jours.
|
Le président de l’Autorité nationale des jeux adresse aux personnes mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique une copie des mises en demeure adressées aux personnes mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article.
Il enjoint ces mêmes personnes à prendre toute mesure pour empêcher l’accès à ces contenus illicites et les invite à présenter leurs observations dans un délai de cinq jours.
La copie des mises en demeure et l’injonction leur sont notifiées par tout moyen propre à en établir la date de réception.
|
Ancien alinéa 3
|
Nouvel alinéa 4
Blocage administratif par FAI – moteur de recherche – annuaire
|
A l'issue du délai mentionné aux deux premiers alinéas, en cas d'inexécution des injonctions prévues aux premier et deuxième alinéas du présent article ou si l'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne reste accessible, le président de l'Autorité nationale des jeux peut saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'ordonner, selon la procédure accélérée au fond, l'arrêt de l'accès à ce service aux personnes mentionnées au 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée. Il peut également saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux mêmes fins si l'offre demeure accessible nonobstant l'éventuelle exécution par les personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent article sans avoir à procéder à de nouvelles injonctions de même nature.
Le président de l'Autorité nationale des jeux peut saisir par requête le président du tribunal de grande instance de Paris aux mêmes fins lorsque ce service de communication au public en ligne est accessible à partir d'autres adresses. Le président de l'Autorité nationale des jeux peut également saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir prescrire, selon la procédure accélérée au fond, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du site d'un opérateur mentionné au deuxième alinéa du présent article par un moteur de recherche ou un annuaire.
Dans le cas prévu au premier alinéa, l'Autorité nationale des jeux peut également être saisie par le ministère public et toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir.
Un décret fixe les modalités selon lesquelles sont compensés, le cas échéant, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des personnes mentionnées au 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée au titre du présent article.
|
Lorsque tous les délais mentionnés aux trois premiers alinéas sont échus, le président de l’Autorité nationale des jeux notifie aux personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 précitée, ainsi qu’à toute personne exploitant un moteur de recherche ou un annuaire, les adresses électroniques des interfaces en ligne dont les contenus sont illicites et leur ordonne de prendre toute mesure utile destinée à en empêcher l’accès ou à faire cesser leur référencement, dans un délai qu’il détermine et qui ne peut être inférieur à cinq jours.
Pour l’application du quatrième alinéa du présent article, une interface en ligne s’entend de tout logiciel, y compris un site internet, une partie de site internet ou une application, exploité par un professionnel ou pour son compte et permettant aux utilisateurs finals d’accéder aux biens ou aux services qu’il propose. « Le président de l’Autorité nationale des jeux peut également être saisi par le ministère public et toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir, afin qu’il mette en œuvre les pouvoirs qui lui sont confiés en vertu du présent article. » ;
Le non‑respect des mesures ordonnées en application du même quatrième alinéa est puni des peines mentionnées au 1 du VI de l’article 6 de la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 précitée[2].
Art. 6 VI.-1 LCEN actuel . Est puni d'un an d'emprisonnement et de 250 000 Euros d'amende le fait, pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale exerçant l'une des activités définies aux 1 et 2 du I, de ne pas satisfaire aux obligations définies aux quatrième et cinquième alinéas du 7 du I du présent article ni à celles prévues à l'article 6-1 de la présente loi, de ne pas avoir conservé les éléments d'information visés au II du présent article ou de ne pas déférer à la demande d'une autorité judiciaire d'obtenir communication desdits éléments. Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables de ces infractions dans les conditions prévues à l'article 121-2 du code pénal. Elles encourent une peine d'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 du même code, ainsi que les peines mentionnées aux 2° et 9° de l'article 131-39 de ce code. L'interdiction mentionnée au 2° de cet article est prononcée pour une durée de cinq ans au plus et porte sur l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise.
|
Article 57 – alinéa 3
|
2° Le dernier alinéa de l’article 57 est supprimé.
|
[1] SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2021‑2022 19 janvier 2022 - TEXTE ADOPTE PROVISOIRE
PROPOSITION DE LOI visant à démocratiser le sport, à améliorer la gouvernance des fédérations sportives et à sécuriser les conditions d’exercice du sport professionnel
(procédure accélérée)